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La Chine, récit d’une réouverture romancée

La réouverture des frontières chinoises le 8 janvier dernier a signé le glas de la politique zéro-covid, trois après son instauration qui s’est largement faite au mépris des libertés individuelles. Exploitant presque le mythe d’un second “bond en avant” version 2022, le Parti a pourtant occulté les réalités qui l’ont contraint à adopter un discours radicalement opposé à celui des derniers mois : crise immobilière, démographique, sanitaire et mouvements populaires anti-gouvernementaux. Entre calcul politique et réel changement, la frontière peut être mince, il reste à analyser quelles en seront les conséquences pour la deuxième puissance économique mondiale, et le reste du monde.

The economist, dessin d’Otto

Est-ce un pari antérieur du Parti communiste chinois ou bien la crainte des mouvements de contestation qui l’ont poussé à abandonner la politique “zéro covid” ? Si la fin des strictes mesures sanitaires était envisagée depuis quelque temps déjà, les manifestations ayant émergé au mois de décembre ont très certainement contribué à accélérer le mouvement. Alors que l’image du Parti s’était construite autour de la réussite économique et de la réduction de la pauvreté, les chiffres de croissance décevants de 2022 (3% de croissance, moitié moins que les prévisions) n’ont fait qu’accroître le mécontentement des classes moyennes, celles-là même qui avaient le plus profité de l’émergence de la puissance économique chinoise. A ces résultats s’ajoute la chute démographique récente qui ne fera qu’amplifier les difficultés économiques si la main-d'œuvre venait à manquer, dans un pays sujet au vieillissement. Cela est d’autant plus vrai que les autorités chinoises ont dû reconnaître la mort de 60 000 personnes depuis le mois de décembre, un chiffre qui serait largement sous-estimé selon l’ONU. Face à la flambée des contaminations (plus de 13 millions entre janvier et décembre) et la hausse des décès, les trois années d’isolement n’auront pas laissé indemne l’Empire du Milieu.

Avec tout cela, il ne saurait y avoir une autre réponse que la concentration de toutes les forces politiques à la relance de l’économie chinoise car si l’on en croit l’hebdomadaire Hong-kongais Yazhou Zhoukan, “sans reprise en main économique, c’est le fonctionnement de la société dans son ensemble, et même la sécurité de l’Etat qui seront compromis”. De fait, ce sont bien les difficultés économiques additionnées aux mesures sanitaires strictes qui ont motivé les mouvements de contestation des derniers jours, et qui, au premier jour du Nouvel-an chinois, n’ont fait que ternir l’image d’un parti qui tente tant bien que mal de se justifier. Dans sa logique toute particulière d’honnêteté, le gouvernement chinois n’a effectivement pas hésité à rejeter la faute sur les manifestants pour expliquer la flambée des cas et des décès, tout en se présentant aux yeux du monde comme une entité à l’écoute de sa population et de ses revendications. Cette rhétorique accusatrice a fait des “on ne veut pas de confinement, on veut la liberté” un instrument politique au service du Parti.

l’ex-président Hu Jintao évincé lors du 20e Congrès (source : REUTERS)

Si les quotidiens nationaux (inutile de préciser qu’ils sont à la solde du Parti communiste chinois) martèlent la permanence de la stabilité du pays, c’est sans doute pour mieux cacher que le Covid a fait s’effondrer l’illusoire infaillibilité de son chef, Xi Jinping, tant aux yeux de sa population que de ceux de certains de ses collaborateurs. Dix ans après son élection à la tête du Parti communiste, le leader de la deuxième puissance économique mondiale n’avait pourtant cessé de resserrer l’étau autour du pouvoir, ce que n’a pas manqué de rappeler le 20e Congrès du Parti communiste chinois qui s’est tenu à l’automne 2022. Reconduit sans surprise pour un mandat de cinq ans, soit son troisième mandat consécutif qui débutera au mois de mars, l’homme fort de Pékin est venu rompre les strictes règles qui encadraient la transition du pouvoir dès 2018 en modifiant la Constitution, ce qui laisse présager la possibilité d’une présidence à vie. Par là même, il n’a pas hésité à trier sur le volet les membres de son administration en plaçant à la tête du Bureau politique du comité central du PCC (groupe qui rassemble les 7 plus hauts-membres du Parti) des “fidèles parmi les fidèles”, achevant ainsi sa purge interne guidée par une campagne “anti-corruption”. Si l’image de l’ancien président chinois Hu Jintao poussé vers la sortie au beau milieu du Congrès a fait réagir la presse mondiale, c’est aussi parce que la volonté de toute puissance de Xi Jinping s’est illustrée par la mise en avant des aspects sécuritaires et idéologiques. Ces derniers s’inscrivent tout particulièrement dans le récit national et politique que le président cherche à construire depuis son arrivée au pouvoir en se présentant comme le “grand unificateur” de la Chine après Mao, exploitant à ses fins ce qui pourrait être paradoxalement considéré comme un échec : sa gestion de la crise pandémique.

 

Dans cette logique de centralisation du pouvoir aux bénéfices personnels de Xi Jinping pour combler les difficultés actuelles, quelle place laissée pour l’ouverture ?

Malgré cette peinture offerte par celui qui se fait appeler le “président de tout”, il est clair que la situation de la Chine est loin d’être stabilisée. Bien que la répression soit sévère, le ras-le-bol général est parvenu à être suffisamment conséquent pour qu’il fasse le tour des médias, révélant ainsi les difficultés sociales, économiques et sanitaires qui frappent le Géant qui sommeille. La réouverture du pays, à comprendre au sens économique mais aussi culturelle, doit donc d’abord céder la place à une stabilisation de ses forces, à commencer par la gestion interne des contaminations et des décès, mais aussi le redressement de la barre économique pour suivre la relance de l’économie mondiale. Ajoutée à cette analyse, la rhétorique anti-occidentale qui s’est renforcée depuis les mouvements de contestation s’accompagne d’une réduction du nombre de visas accordés aux étudiants et journalistes internationaux. Ce phénomène de repli sur soi décrit par la spécialiste de la Chine Alice Ekman s’illustre également par le non-renouvellement des passeports d’un certain nombre d’habitants chinois qui ne peuvent dès lors plus quitter le pays pour reprendre ses termes. Le titre de son ouvrage “Dernier vol pour Pékin” est d’ailleurs assez explicite en ce qu’il décrit parfaitement le paradoxe qu’il existe entre la réouverture annoncée par le pays, et dans les faits, une fermeture que ne saurait éclipser les vastes campagnes de communication orchestrées par le Parti lui-même.

Bien plus qu’une fermeture physique (au sens géographique), la pandémie a également accentué la fermeture et la division idéologiques dont découle une véritable complexification des rapports entre la Chine d’un côté et le reste du monde de l’autre : deux mondes qui évolueraient presque en parallèle si l’on en croit Alice Ekman qui qualifie cette situation de “bimondialisation” et que seuls les mois et années à venir nous permettront d’étudier.

Juliette Martens, Tle Saint Thomas d’Aquin

(sources d’information : sites « msn.com », « irsem.fr », « tf1.fr » et « lemonde.fr » et vidéo "2023 : un monde incertain - Une leçon de géopolitique", Le dessous des cartes, Arte, 2023disponible sur  https://www.youtube.com/watch?v=lXTkKE2WuX0)

 

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